Il est temps de fermer nos comptes Twitter (2024)

Quitter X (anciennement Twitter)? Avouons-le, la décision n'est pas facile à prendre. Pour moi, Twitter a été une source inépuisable d'infos, de découvertes, de mèmes et de blagues. C'était un passe-temps passionnant et addictif, qui me laisse quelques souvenirs magnifiques.

Il est temps de fermer nos comptes Twitter (1)

Jesus loves you, Twitter loves this. | Capture d'écran via Twitter

Certes, au fil du temps, j'ai vu ce réseau social changer: l'agressivité y devenait constante, les faux comptes pullulaient, les «fake news» s'infiltraient partout, le cyberharcèlement y était fréquent. Or, depuis qu'Elon Musk a repris Twitter, tous ces défauts se sont accentués. Il est vrai que le propriétaire les a encouragés et en a créé d'autres.

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Twitter est devenu infréquentable

Twitter –non, je ne parviens pas à écrire X– est aujourd'hui un marigot puant où les extrêmes de tout poil s'affrontent incessamment, en nous embrigadant dans leurs pugilats merdiques. À tout propos, des inconnus surgissent pour vous dire que vous êtes stupide et combien ils sont experts dans votre domaine. Des trolls peuvent attaquer en masse tout discours un tant soit peu mesuré et l'influence mensongère russe y est permanente. En quête de buzz, des personnalités politiques y écrivent n'importe quoi. La sphère complotiste s'y vautre avec délice. Dans une lutte permanente pour l'attention, on ne gagne qu'en vociférant. Le racisme, les insultes, l'antisémitisme s'y affichent sans complexe et la modération devient inexistante.

Bien sûr, il y a de nombreux comptes qui argumentent, écoutent, discutent, enrichissent le débat. Mais ils sont rares et l'algorithme les privilégie peu. De fait, pas mal de comptes sont désormais plus ou moins muets. Des chercheurs de l'université de Californie à Pomona (États-Unis) ont observé le silence progressif d'internautes s'intéressant aux questions climatiques. Les climatodénialistes pullulent sur Twitter et y tenir un discours scientifique face à une avalanche de contre-vérités est épuisant. Je veux dire ici mon admiration pour la scientifique Valérie Masson-Delmotte, qui tient bon face à cette meute insaisissable et jamais à court de mauvaise foi.

Ce n'est qu'un début: Twitter ignore la mesure et valorise les excès: une insulte créera toujours davantage «d'engagement» (des ripostes, du temps passé, de la pub). Chez Twitter l'agressivité relève presque de la fonction phatique.

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Au service d'un projet politique

De fait, garder un compte Twitter revient à crédibiliser un réseau social qui n'en est plus vraiment un. Autrefois horizontale, la parole y est aujourd'hui valorisée à hauteur de l'abonnement qu'on y paie, à l'exception d'un quarteron de (plus ou moins) célébrités. D'une part, les comptes non payants perdent en visibilité. De l'autre, la pastille bleue ne distingue plus des comptes certifiés, mais des utilisateurs payants. Potentiellement n'importe qui, y compris des usurpateurs d'identité.

Pis: désormais, les utilisateurs dits «premium» peuvent espérer récolter une poignée de dollars si leurs contenus génèrent suffisamment «d'engagement». Oh, certes, Twitter ne valorisera pas que des contenus nuisibles, mais comment ne pas se dire qu'il vaut mieux créer des contenus polémiques et racoleurs pour faire grossir son petit chèque? Avec cette obole, Elon Musk est en train de créer un lumpenprolétariat de l'info douteuse.

Et il ne s'en cache pas. Peu à peu, le gentil inventeur de fusées à la Jules Verne commence à montrer son véritable visage. Son compte perso reste très actif: le libertarien sympa s'en prend désormais aux migrants, en Europe comme à New York, s'affiche antivax, pose avec une arme de guerre, affiche son mépris des journalistes, raille la résistance ukrainienne, cible la justice américaine en soutien à Donald Trump, puis la justice suisse pour relativiser la condamnation pour propos hom*ophobes d'Alain Soral...

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Au service d'un projet politique

Ses idées sont, il faut l'écrire, d'extrême droite. Et son projet pour Twitter est un projet d'extrême droite. Il a viré tout le monde considérablement réduit les effectifs, surtout du côté de la modération des contenus. Vous pouvez poster un contenu délictueux sans grande crainte d'être banni, surtout si vous avez un compte payant. Vous pouvez harceler tranquillement. Tout est couvert par une «liberté d'expression» très extensive. Garder son compte Twitter revient donc à cautionner cette entreprise de démolition d'un réseau social ouvert sans vouloir en corriger les défauts, pour en faire un espace au service d'une cause politique qui se cache de moins en moins.

D'autant qu'il n'y a là ni fantaisie ni improvisation. Comme l'indique NBC News (et The Chancery Daily), la réorganisation de Twitter ne doit rien au hasard et tout à un projet. Depuis l'offre publique d'achat, Elon Musk semble appliquer à la lettre un plan de réorganisation, tenant compte des mises en garde (publiées anonymement) du site d'alt-right, revolver.news, entre apologie de la «liberté d'expression» (pourvue qu'elle soit très à droite), disparition des comptes vérifiés et crainte d'un démantèlement de Twitter.

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Par ailleurs, il a rétabli des comptes qui avaient été bannis: celui de Donald Trump, après l'assaut du Capitole; celui de Marjorie Taylor Greene, une élue républicaine ouvertement extrémiste; celui d'Andrew Anglin, complotiste et néonazi; ceux du rappeur Kanye West, suspendu après «avoir partagé des messages antisémites», et du masculiniste Andrew Tate, «récemment arrêté en Roumanie pour trafic d'êtres humains». Il a également supprimé l'étiquette «médias parrainés par l'État», qui identifiait des comptes comme ceux de Russia Today ou de Sputnik. La liberté d'expression, toujours.

Depuis début octobre, le partage d'articles se résume par ailleurs à une simple photo abritant un lien. Vos abonnés ne savent plus ce que vous postez. Une attaque frontale contre la presse.

Pourquoi rester?

Tout cela commence à faire beaucoup. Pour ma part, je ne suis pas certain d'avoir envie de partager mes idées et mon temps, et demain, mon fric, avec un type qui s'affiche ainsi:

Hip-firing my Barrett 50 cal pic.twitter.com/OkNnjWid0r

— Elon Musk (@elonmusk) September 30, 2023

Et ce, après être allé inspecter la frontière avec le Mexique. Et je n'ai pas davantage envie de voir s'afficher dans mon fil, chaque jour, des contenus qui ne m'apprennent rien et me hérissent, des trolls russes aux antivax, en passant par le militantisme politique le plus borné.

On peut partager le projet d'Elon Musk et conserver son compte pour y contribuer. C'est un choix. Mais si ce n'est pas le cas, posons-nous la question: pourquoi rester? En conservant notre compte, on contribue à ce projet par les contenus produits et les publicités qu'ils génèrent.

Alors, quitter Twitter? Lorsqu'on a une consommation peu fréquente, garder un compte Twitter n'a plus de sens. Seule la force de l'habitude (ou de l'accoutumance) nous retient. Pour d'autres, qui ont beaucoup investi (en temps, en énergie et en jus de cerveau), c'est un choix douloureux, presque un sacrifice. Il s'agit en effet de perdre des centaines, des milliers, parfois des dizaines de milliers de followers. Qu'on ait posté consciencieusem*nt des photos de chatons, de chouettes contenus de vulgarisation, des blagues ou des infos, c'est le résultat d'années de travail qui risque de s'évaporer. Car rien ne dit qu'ailleurs, on retrouvera la masse d'abonnés que l'on aura perdue. Il est même certain qu'il faudra largement repartir de zéro.

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Beaucoup auront du mal à s'en extraire, car ils y ont bâti une communauté attachante. D'autres ne perçoivent pas (encore?) la violence du réseau, grâce à un fil d'actualité prudemment constitué. D'autres encore y militent pour le meilleur et soutiendront qu'ils ne faut pas laisser Twitter aux trolls et aux «fake news». Lutter de l'intérieur? Lorsque les dés sont pipés?

Les journalistes regretteront certaines sources d'information (même s'il devient difficile de discerner qui est qui). La presse y perdra ce qu'elle (ne) gagnait (déjà plus) en visibilité et droits voisins. Comme le New York Times, Le Monde amorce une cure de désintoxication, invitant ses journalistes à «ne tweeter que les liens de leurs articles», évoquant désormais la possibilité de quitter Twitter: «“Le réseau s'est mis à ressembler à sa caricature” et sa fonction d'instrument de veille autrefois “extrêmement utile” est désormais “fortement détraquée”.» D'autres titres suivront.

Si vous êtes d'extrême droite, savourez l'instant

Il existe plein de raisons de garder un compte Twitter. Toutes sont valables. Mais elles ne tiennent pas face à ce que construit Elon Musk avec notre complicité plus ou moins passive.

Il faudra probablement attendre quelque temps pour observer une grande migration vers d'autres cieux (bleus, éléphantesques, ou autres). Mais si les comptes Twitter deviennent payants, comme Elon Musk l'a annoncé en septembre, cette migration pourrait être plus rapide et massive qu'on ne l'imagine. Il est possible aussi de préparer son départ en reconstituant son fil d'abonnements ailleurs.

En attendant, nous devons nous poser cette question: quelle raison ai-je de rester sur un réseau social dont le propriétaire porte un projet d'extrême droite et valorise la prolifération de contenus haineux, racistes, violents, mensongers? Si vous êtes d'extrême droite, savourez l'instant. Si ce n'est pas votre cas, dites-vous que le meilleur moyen de combattre les idées d'Elon Musk, c'est de le priver d'une partie de ses ressources, c'est-à-dire nous.

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Author: Tuan Roob DDS

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